Une lettre-bouée signée Tina : elle y dénonce un "petit" boulot de sous-traitance, un rôle de tampon face à des clients exaspérés, une ambiance qui mine le moral, un état proche de la déprime. Un témoignage sur la souffrance au travail, bien d'actualité...

mal_travail « Mon récit est sûrement celui de beaucoup de "petits" salariés comme moi. Salariés noyés dans la masse, non reconnus par leur employeur, dénigrés dans leur travail, perdus entre l’envie de se battre et de lâcher prise. Bien sûr, ce n’est pas les mines de sel. Après tout, c’est juste 7h par jour… Mais, je n’en peux plus. Il faut y ajouter les angoisses, les larmes aux yeux pour rien, les insomnies, les douleurs musculaires (dues à des soucis de santé antérieurs) amplifiées par l’énervement, l’irritabilité, l’impression de ne plus rien valoir. Chaque soir, j’angoisse pour le lendemain. Chaque week-end est vécu comme un compte à rebours.

Je travaille dans un grand groupe de support technique, plus précisément pour le service de gestion paie d’une grande enseigne de produits culturels. Le hic ? Je fais l’interface entre les salariés de cette enseigne et les gestionnaires de leur salaire localisés dans une autre société. Tout cela sans aucune légitimité professionnelle. Ma société n’étant pas du tout spécialisée dans l’assistance RH et moi encore moins. Je n’ai en effet aucune notion de comptabilité, ni de droit du travail, ni dans les ressources humaines. Pourtant j’ai accès à l’ensemble des fiches de paies de milliers de salariés. Je travaille donc en toute légalité dans le mensonge.

Tout cela est bien sûr très nébuleux pour les salariés concernés. Ils ont juste un numéro de téléphone pour nous joindre. Ils pensent tomber sur un gestionnaire pouvant leur apporter des solutions, des réponses. Et bien non ! En cas d’urgence, je peux juste leur dire : "je transfert votre dossier". Or nous n’avons pas de contact direct avec les gestionnaires, alors que les urgences se multiplient : des salariés avec des erreurs de paie en pagaille, qui reçoivent des attestations Assedic avec un retard de plusieurs semaines ce qui leur génère des soucis administratifs, personnels, financiers sans nom, des salariés en interdit bancaire à cause de leur dossier de maladie traité en retard…

Je prends de plein fouet leur mécontentement, leur incompréhension, leur détresse. Parfois, j’ai envie de les inciter à aller à l’inspection du travail, à informer les syndicats, à monter aux créneaux, à faire des procédures prud’homales. Mais je ne suis pas autorisée à tenir ce genre de discours : je dois "temporiser".

Je suis activement en recherche d’un nouvel emploi, simplement pour fuir tout cela. J’ai fait des études, j’ai quelques années d’expérience professionnelle. Je ne pense pas être perdue mais le mal être au travail, face à cette incompétence généralisée, à cette désastreuse gestion, va m’anéantir si je ne réagis pas très vite.

Peut-être découvrira-t-on aux travers de cette lettre pour qui et avec qui je travaille. Au fond de moi, je le souhaite. Pour qu’éclate enfin cette situation, pour me soulager, pour mon collègue qui est dans la même situation et le même état d’esprit, pour tous les salariés qui pâtissent de cette sous-traitance inhumaine à outrance. Et qui souffrent en silence. »

La photo est issue du documentaire "J’ai très mal au travail" de Jean-Michel Carré

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